L’invenzione di noi due
ROMAN
de Matteo Bussola
Turin, Einaudi, 2020
216 pages
Matteo Bussola est un fou d’amour. Un troubadour surgi d’un nouvel et hypothétique épisode de Retour vers le futur, à une époque aussi décadente qu’est la nôtre. Il affirmera d’ailleurs dans un entretien à RepTV en 2018 : « Les amours non partagées nous donnent une place parmi les étoiles ». À une époque qui voit le matérialisme triomphant et l’individualisme non moins triomphant parce qu’asséné à grand coups de séances psy en tous genres, il nous sauve. Ou plutôt il nous libère. Nous donne une leçon d’humanité. D’espoir. S’il a écrit ces histoires-là, ces histoires d’amour absolu, c’est qu’elles existent. Et si l’on veut lui faire le reproche qu’elles n’existent que dans sa tête, ce n’en est pas un, de reproche, parce qu’elles existent aussi dans nos têtes : celles de ses lecteurs et lectrices, parce que ce sont des histoires du quotidien, des sentiments et des pensées que nous vivons tous sans vraiment savoir les dire. Mais lui, il sait. Sans chichis baroques ou lyriques, sans mélodrame ni cynisme. Il sait trouver les mots, juste précis, juste vrais pour nous faire partager une expérience, un vécu qui devient le nôtre, que nous reconnaissons nécessairement. Parce que pour lui, « l’amour est une question de regard ». Pour que nous l’accompagnions sur une route, fictive, certes, mais une autre route, une autre voie à laquelle nous aspirons tous et que nous souhaitons être la bonne, la seule possible.
« à ceux qui s’aiment et en ont perdu le souvenir »
C’est par ces mots, placés en exergue du livre, que s’ouvre l’ouvrage de Matteo Bussola, L’invenzione di noi due, un roman intense, délicat et prenant, qui a su saisir pleinement le déclin d’un amour et l’espoir d’en recoller les morceaux.
« On dit que la beauté d’une perle naît d’une réaction organique à une douleur. La perle enveloppe la blessure qu’un simple grain de sable provoque à l’huître en pénétrant dans sa coquille, et grandit. C’est sa réponse quand un corps insolite parvient à traverser ses défenses. L’amour n’est pas différent : il est une réaction face à qui parvient à vaincre tous nos murs. La réponse bienveillante à une menace potentielle qui a franchi la frontière. » (p. 9).
Milo Visentini a quarante-sept ans et travaille comme cuisinier dans l’auberge qu’il gère avec son ami Carlo. Il est marié avec Nadia, qu’il a connu sur les bancs de l’école, et même, sur un banc précis du lycée : l’histoire entre les deux commence en effet par une correspondance un peu particulière, puisque Milo et Nadia appartiennent à deux classes sociales distinctes qui partagent – pour des raisons d’espace – alternativement la même salle de classe. Ainsi, au début par simple divertissement puis de manière plus sérieuse, tous deux commencent un jeu où ils s’échangent des messages écrits à la main sur la surface du pupitre devant lequel ils s’assoient à tour de rôle. Cet échange se poursuit jusqu’au dernier jour de lycée, puis tous deux perdent tout contact. Nous suivons la vie de Milo : il poursuit ses études, s’installe à Venise et rencontre d’autres jeunes filles, jusqu’à ce qu’il retrouve la Nadia de Terminale, celle qui écrivait sur le pupitre. C’est un amour immédiat et profond, intense et impétueux que nous raconte aujourd’hui Milo, avec nostalgie et amertume, de son point de vue, celui d’un homme encore amoureux de son épouse, et même s’il est assez fort pour accepter – non sans souffrance – son éloignement progressif.
« Et si certaines amours étaient une forme de nécessité ? Notre histoire était née ainsi : deux pôles qui s’étaient attirés, inexorables. Une loi électromagnétique qui était parvenue à traverser le temps. Au début nous nous sentions comme deux élus, le ressac que nous voyions submerger les autres n’aurait jamais dû nous atteindre. Et puis, lentement, il nous cerna. » (p. 37).
Car en effet, si l’amour et la passion entre les deux semblait pouvoir apaiser toute dissension, au fil du temps la relation entre les deux se met à changer, se tournant lentement et inexorablement vers un lent et apathique effritement. La fidélité à la promesse faite des années auparavant les condamne en réalité à une infortune permanente.
« Nadia ne m’aimait plus désormais, mais je savais qu’elle ne me quitterait jamais. Cela la condamnait à une existence de profonde infortune » (p. 9)
Que faire alors, quand l’amour semble ne plus suffire ? Le bouleversement survient quand notre protagoniste décide d’une dernière tentative pour faire bouger les choses : et si Nadia devait expliquer à quelqu’un d’autre leur situation ? Et si elle pouvait à nouveau se sentir désirée et aimée, que se passerait-il ? Mais surtout, si cet autre et Milo étaient deux figures se superposant jusqu’à se confondre – pour des raisons que nous laissons à votre lecture – qu’arriverait-il dans leurs vies ?